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Volem Rien Foutre

29 mars 2007

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29 mars 2007

Volem rien foutre comme les autres al païs

Volem rien faire comme les autres al païs

D’une manière encore feutrée et peu médiatique, une bataille est engagée sur la question de la représentation. Elle mène très loin, puisqu’elle remet en cause (de manière incidente) la légitimité de ceux qui veulent nous représenter politiquement. Dans un monde où la plupart des images censées nous éclairer sur nos conditions de survie, voire unifier notre point de vue, sont des images suspectes ou mensongères qui nous séparent et nous divisent ; dans un univers strictement médiatique où notre temps, notre époque et ses conflits ne nous parviennent que déréalisés et ne témoignent ni ne prennent position en notre faveur, qui pourrait encore avoir l’arrogance de vouloir nous représenter ? C’est dans le domaine de la photo que les protagonistes de ce conflit sont clairement identifiés : le style documentaire s’y oppose violemment au photo-journalisme. Le premier exige de l’investigation, du temps et de l’imprégnation et implique que celui qui s’engage pour son sujet ne soit pas séparé de celui-ci ; qu’au final le sujet initial soit comme dissous et qu’un autre sujet, tel un hors champ sur l’époque, puisse apparaître apportant un surcroît de réalité sinon de vérité. À l’inverse, le photo-journalisme, sur le mode des opérations militaires de commando, recherche la rapidité, le spectaculaire et l’efficacité. On peut le comparer à l’aviation américaine capable de bombarder la nuit et larguer vivres et médicaments le matin suivant. Les photo-journalistes, soumis à quelques grands groupes médiatiques, sont tenus de se conformer à un certain type d’images où dominent la violence, le grotesque et le sexe. Ils ne doivent ni témoigner, ni questionner, ni s’impliquer, sous peine de compromettre la pseudo-crédibilité de leurs images : ils doivent confirmer le point de vue dominant de l’imagerie médiatique et non le remettre en question. Leur iconologie est celle de la société du chaos.

Le cinéma documentaire habituel présente plus d’un point commun avec le photo-journalisme. Son produit fini  vient toujours valider son sujet et son point de vue initial qui n’est autre que le point de vue dominant et faussement consensuel du monde médiatique. À l’instar de la sordide collecte des pièces jaunes, la plupart des films documentaires sont formatés, tournés de loin et au loin et entretiennent chez le spectateur un ensemble de stimulations ou le voyeurisme le dispute à une affectivité malsaine. Ces documentaires nous narrent par le détail les aventures de la perche du Nil en charriant leur tombereau de lieux communs et de mensonges programmés ; ils nous content la vie exemplaire d’un instituteur de la bonne vieille école, alors que partout, au nom des règles du marché, l’école et la culture sont saccagées. Qu’il s’agisse d’écologie, de tiers-monde ou d’enseignement, ces « produits » sont tous calibrés sur un modèle unique. Par une apparente neutralité, ils observent toujours de l’extérieur leur sujet, quitte à le manipuler au besoin. On les reconnaît à leur façon d’être faussement polémique, bien pensant et sans danger, et à leur manière insidieuse de travestir la réalité à leur convenance : à n’être au final que des fictions. De tels films ne sont pas réalisés pour remettre en cause le système mais pour l’entretenir en nous divertissant.

Il existe un cinéma documentaire de résistance qui, partant simultanément d’un constat ou d’un refus, tente de les documenter en les soumettant à l’expérience du réel. Ici, la forme de l’enquête  s’apparente à un art du questionnement où les réalisateurs assument les fonctions de témoins à charge et à décharge, d’accusés et parfois même de victimes. Au départ de l’expérience Volem rien foutre al païs, Pierre Carles, Stéphane Goxe et Christophe Coello, savent ce qu’ils refusent mais n’imaginent sans doute pas ce qu’ils vont découvrir et qui les changera durablement en retour. Ce n’est pas sans danger qu’on part à la recherche de nouvelles armes pour s’attaquer à un monde qui nous maltraite si durement, sans que certaines de ces armes ne se retournent contre soi. C’est de la pensée, de la légitimité de ces armes et de la validité de leur usage que témoigne le film.

La première qualité de Volem rien foutre al païs, c’est qu’il nous transforme, que nous soyons réalisateurs ou « regardeurs ». Comme nous transforment certains livres et amours, quelques rencontres et de rares aventures historiques. Sans vraiment modifier le sens de nos convictions, il peut durablement modifier notre conception de la résistance. Des réflexions sur la réappropriation de la technique nous apparaissent évidentes et nécessaires et nous poussent vers de nouvelles pratiques. Volem rien foutre al païs n’est pas seulement le survol sans concession du camp de l’anti-travail. Il n’est pas non plus la suite attendue d’Attention Danger Travail, sinon sur un mode subtilement contradictoire assumant l’ambiguïté du titre : on y parle effectivement du droit à la paresse mais en s’activant sans cesse. Le film recense un ensemble d’expériences urbaines et rurales dont les pratiques et les perspectives sont souvent complémentaires mais parfois contradictoires. Nous sommes mêlés à la vie quotidienne, aux interrogations, aux joies comme aux peines, de groupes très disparates mais pourtant homogènes. Par le dispositif mis en place par les réalisateurs, nous sommes impliqués et participons à des collectifs urbains développant de nouvelles conceptions très esthétisées de la reprise individuelle, tel Dinero Gratis. Nous squattons un immeuble de Barcelone. Nous tentons de survivre et débattons de manière incessante, au sein de communautés impulsées hors des villes par les déserteurs du travail. Nous sommes naturellement poussés à penser le monde en termes d’autonomie et de libre emploi du temps. Dans un territoire libéré du temps médiatique mais informé par d’autres moyens, certains parlent de décroissance, d’autres opposent la libre activité au travail ; certains utilisent le RMI et se qualifient de travailleurs sociaux, d’autres récusent toute forme de compromis avec l’État. Nous découvrons des hommes et des femmes qui formulent tout à la fois une pensée et un nouvel usage de la technique les distinguant profondément des expériences communautaires françaises des années 1970, comme des thèses primitivistes. Tous ces collectifs tentent de simplifier, au nom des intérêts de la communauté humaine, ce qu’un système marchand cherche sans cesse à complexifier lorsqu’il nous impose de faux besoins et nous soumet, sur le modèle des semences transgéniques, à un univers d’objets domestiques que plus personne ne saura réparer. Pour les femmes et les hommes de Volem rien foutre al pais tout est récupérable et réparable. On découvre le simple usage des chiottes sèches, du solaire, de l’éolienne, d’un mystérieux moteur à eau, de la construction de maisons aux murs en paille, des pompes à eau bricolées, mais d’une rare efficacité. Plus le film accumule les expériences et plus le malheur du monde nous semble non seulement intolérable mais absurde. Plus le cycle programmé de la sécheresse et des famines signale la totale inféodation de la science et de la technique au capital. Le lyrisme qui entoure l’usage complet des chiottes sèches marque bien la métaphore centrale de Volem rien foutre al pais. Comme le déclare l’un des protagonistes du film : je m’occupe de ma merde et je ne laisse personne venir m’emmerder.

À leur façon, les trois réalisateurs témoignent de la disparité et de la complémentarité des points de vue du film. Tous trois prennent clairement position pour la résistance. Christophe Coello, en centrant son regard sur les pratiques urbaines de Barcelone, qui sont au centre de sa vie quotidienne. Pierre Carles, en outrepassant les limites de la provocation admise, lorsqu’il tente, face la violence du capitalisme, de faire admettre comme légitime aux patrons du Medef la violence d’Action Directe; ou lorsqu’il demande à Michèle Alliot-Marie si l’armée à mission d’intervenir pour réprimer les déserteurs du travail. Stéphane Goxe, en mettant en avant et en interrogeant les questions d’autonomie et d’auto-suffisance du point de vue de la pratique révolutionnaire. Les trois réalisateurs sont à l’image du film : ils en expriment sa cohérence mais aussi ses déchirements. Leur montage témoigne de leurs contradictions qui sont aussi les contradictions d’une époque. Volem rien foutre al païs est une polyphonie où chacun dans sa langue exprime le même constat : aujourd’hui, c’est la marchandise ou c’est nous. Certaines des expériences filmées n’auront pas d’avenir : pas d’enfants sur l’écran. Mais quel autre choix avons-nous ? Voici pourquoi, si le film est dominé par une froide énergie, il est par instants crépusculaire ou mélancolique : telles ces images fugaces d’un jonglage avec de fragiles balles blanches au destin incertain, ou ce plan fixe sur un couple détournant Bella ciao et poussant la chansonnette anti-travail. Images fugitives qui tentent de redonner à une vie si dure à la vie sa part de part de poésie, sinon de rêve ; narration fragmentaire ou un secret espoir le dispute encore trop rarement à la fatalité.

Face à la violence du discours de Pompidou qui ouvre Volem rien foutre al païs et à celle des déclarations finales des responsables du Medef et des hommes politiques (droite et gauche confondues), il apparaît clairement que ceux qui contestent la logique du travail sont nécessairement conduits à contester entièrement l’organisation capitaliste du monde : plus aucune négociation n’est possible entre ces deux mondes. Céder sur un point, c’est céder sur tout. Comme en témoigne un rebelle anglais : on ne travaille pas avec l’ennemi. Ces hommes et ces femmes qui ont fait sécession et se sont « retirés » à la campagne, ne l’ont pas fait par nostalgie d’une ère paléolithique à la sauce primitiviste, mais pour des questions de simple survie et parce que l’expérimentation y est encore possible. Selon l’expression de Guy Debord commentant le changement d’époque, ils sont aujourd’hui contraints, pour simplement survivre, d’aimer la liberté. Face à une situation de guerre sociale imposée par un système de plus en plus totalitaire et avec lequel il est devenu parfaitement impossible de ruser, ils sont les premiers à avoir déserté et pris le maquis. Un espoir traverse le film, mais curieusement le rêve y est absent. Il n’existe, fugitivement, que par le rappel à l’An 01. C’est qu’à l’inverse des militants des communautés des années 1970, les hommes et ses femmes qui aujourd’hui  récusent l’ordre marchand et décident de faire sécession n’ont pas vraiment le choix : il leur est devenu impossible de vivre autrement, puisqu’ils refusent de survivre dans un « ailleurs urbain ». Comment s’étonner alors que si la question de l’utopie traverse bien tout le film, la part du rêve y soit aussi cruellement absente. Ici, dans cet espace-temps libéré, où le travail est réfuté, où l’activité est libérée on s’active durement, pour rien, pour un superflu qui n’est pourtant que l’essentiel.

Il manque au film que ce qui manque à toute notre époque de guerre : le superflu et la dépense. Ici, l’autogestion est encore trop souvent celle de la misère. Rien ne renvoie explicitement au devenir d’un monde de maîtres sans esclaves. Pareillement, les questions artistiques, esthétiques ou urbanistiques (fussent-elles formulées négativement comme anti-artistiques, anti-esthétiques ou anti-urbanistiques) sont étrangement absentes. Pourtant, si la décroissance a un sens, c’est en transformant les objets les plus communs ou domestiques en œuvres d’art, en prolongeant au maximum leur espérance de vie, et en pariant sur le goût de l’échange commun à tous les êtres humains :lorsque le passage du temps en aura épuisé le pouvoir de séduction. Ici, le paysage occupé ne dessine pas encore un paysage mental, on y sent comme le retour informulé de vieilles valeurs paysannes. Ici, la réappropriation de l’espace urbain et rural n’intégre pas encore le projet de réalisation de l’art. Tous ces hommes et ces femmes filmés sont encore trop souvent traqués : pour sortir et mener une contre-offensive, il leur faudra bien porter en eux un pouvoir de séduction bien plus puissant et convaincant que celui de TF1. En ce sens, la fascination que suscite Volem rien foutre al païs n’est pas tout entière dans ses images, dans ses entretiens, dans son montage ni son rythme, mais dans le hors champ que suscite le film, dans la jubilation que nous éprouvons à réinventer nous-mêmes d’autres débats, de pouvoir intervenir  directement dans celui qui s’est installé entre les réalisateurs. Le film évite ainsi l’écueil de son sujet : ce qui est filmé est tout aussi bien constat rebelle qu’expression subjective et artistique.

Volem rien foutre al païs s’impose comme un ovni cinématographique aussi bien que théorique dont les enjeux et la forme sont déterminants. C’est un film limpide et d’une grande fluidité. La confusion qui semble y régner témoigne de la confusion d’une nouvelle époque de révolte. Les critiques qui vont rendre compte du film devront accepter les exigences de son point de vue. Or ce point de vue n’existe pas à ce jour dans l’espace médiatique, ou alors caricaturé à l’extrême au point d’apparaître comme l’expression d’une nostalgie stalinienne. Il est encore trop tôt pour savoir si Volem rien foutre al pais va ouvrir une brèche. C’est que, contrairement à la fausse neutralité des documentaires convenus, où une petite falsification de plus ou de moins permet d’obtenir son record d’audience et son consensus humaniste, ici il n’est pas question de bons sentiments mais de guerre : d’une guerre sociale ou pour l’instant toutes les attaques sont menées par l’hypercapitalisme.

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